2025 The Ritual : L’Exorcisme d’Emma Schmidt (The Ritual)

Ô joie ! Ô joie ! Ô joie ! Deux ans et huit mois après ma « découverte » d’Al (lire l’onglet Introduction pour en savoir plus sur mon quasi-syndrome de Stendhal à propos d’Al en janvier 2023), j’ai enfin et pour la première fois eu la chance, l’honneur et le privilège d’aller dans une salle de cinéma voir un nouveau film avec lui, et ce, bien qu’il ait 85 ans et ait largement dépassé l’âge habituel de la retraite.

L’avis des critiques et des premiers spectateurs pour ce film sorti il y a deux semaines, le 20 août 2025, ayant été particulièrement cinglant, je me suis hâtée, à peine revenue de vacances, d’aller voir ce film un mardi tant qu’un cinéma parisien le projetait en VO en deuxième semaine. Bien joué : le lendemain, mercredi, il n’y avait plus que de la VF dans les deux seuls cinémas parisiens projetant le film en troisième semaine.

Du reste, nous étions trois spectateurs seulement (certes, c’était la séance de 11 h, et dans un complexe hors du centre de Paris, quartier Bercy, donc on ne vient là que si l’on habite tout près ou que l’on fuit la foule des cinémas plus fréquentés) : un homme au milieu du tout dernier rang de cette immense salle, une femme au milieu du tout premier rang (drôle de choix face à un écran gigantesque), tous les deux dans les 65 ans (fans d’Al ou fans de films d’exorcisme ?), et moi avec mon cahier et mon crayon pour griffonner mes idées dans le noir.

Le défaut principal (et massif) du film est très clair dès les premières minutes : c’est très, très mal filmé.

Des films avec Al qui ont été descendus par la presse et le public, il y en a eu un certain nombre (American Traitor, Jack et Julie, Un flic pour cible, La Loi et l’Ordre…), mais ces films-là ont au moins été réalisés de façon très professionnelle, tandis que The Ritual semble avoir été mis en scène en grande partie par un étudiant sous-doué (ce n’est pas de l’ironie, c’est factuel). L’image est correcte, le rythme aussi, donc le chef opérateur et le monteur ne sont pas à blâmer, mais la réalisation est calamiteuse. Que la caméra bouge beaucoup trop pour des scènes d’action (d’exorcisme, dans le cas présent), on peut le comprendre, ça se fait beaucoup depuis quelques décennies. Mais que des scènes sans aucune action (par exemple avec les personnages discutant assis) soient filmées sans steadycam, avec la caméra qui bouge légèrement, avec aussi des zooms maladroits, une mise au point parfois catastrophique (flou sur certains personnages pendant quelques secondes), des incongruités très The Disaster Artist, de James Franco (par exemple, l’arrière d’un crâne filmé de bien trop près), et des plans mal cadrés, c’est incompréhensible et ridicule.

Je lis sur le site Freakin’ Geek que le réalisateur semble ne pas savoir tenir une caméra, que même un simple plan fixe de paysage tressaute, et qu’il est étonnant que le film ait pu atterrir sur grand écran. C’est exactement ça… Je vois sur Google que David Midell, né en 1983, semble être dans le domaine de la production depuis une dizaine d’années et en être à son deuxième film en tant que réalisateur. J’imagine que, lorsque les producteurs ont compris la médiocrité de la réalisation sur ce tournage, il était trop tard.

Le film ne s’est cependant pas crashé sur le plan financier : il a rapporté plus de cinq millions et demi de dollars en quatre mois, pour un financement a priori raisonnable (de nombreux internautes et journalistes ont remarqué que les décors étaient réduits au minimum certainement pour masquer un manque de moyens pour reconstituer les années 1920 à l’image). Erreur : j’ai trouvé le budget du film, il est de quinze millions de dollars. Autant dire que l’on va attendre quelques années avant de revoir éventuellement le nom de David Midell.

Le film souffre également d’un trop grand systématisme dans la narration : chaque scène de dialogue entre deux religieux — avec des « brother », « sister », « father » à foison pour commencer toute conversation, ça finit vite par agacer — est suivie d’une séance d’exorcisme. Ce schéma répétitif se produit six ou sept fois, et on n’en sort jamais, il n’y a aucun pas de côté. En outre, le tout est assez plat, pas très éloigné d’un téléfilm : pas de scène étonnante, réellement originale ou touchante, tout est très lisse, et les séances d’exorcisme sont conformes au genre et sans surprise.

On peut mettre au crédit du réalisateur d’avoir, selon ses propres dires, passé des milliers d’heures à étudier cette histoire vraie (qui s’est passée en 1928) afin de la restituer le plus précisément possible. J’apprécie l’honnêteté de cette démarche, mais je m’interroge un peu sur ce « milliers d’heures », surtout que l’histoire se base sur un livre seulement, et que la vie de ses quelques protagonistes n’a pas dû être tant étudiée. En supposant que ça soit 2 000 heures (puisque l’on peut mettre du pluriel à partir de deux !), il aurait étudié cette histoire quarante heures par semaine pendant presque une année entière, ou vingt heures par semaine pendant deux années. Ça me paraît excessif comme affirmation.

Al est plutôt très bien dans ce rôle inédit, pour lui, de religieux capucin (ordre ayant produit de nombreux saints) portant une bure (robe marron typique des franciscains) et un prénom qui fait très alchimiste médiéval : Theophilus… Avec calme et une autorité naturelle, il est tout à fait crédible en exorciste que rien n’impressionne, blindé par l’expérience et la confrontation au Mal. Il apparaît au bout de cinq minutes seulement, et est à l’écran de façon régulière jusqu’au bout, donc pas de mauvaise surprise, il n’a pas donné son nom pour quelques courtes apparitions (contrairement à ce qu’il avait fait dans The Pirates of Somalia).

Il a eu un dialect coach pour ses passages en différentes langues (lorsqu’il parle à la jeune femme qu’il cherche à exorciser), mais je ne suis pas sûre d’avoir tout reconnu. Du latin, certainement, peut-être aussi de l’allemand ? La possédée parle également en espagnol à une nonne pendant quelques instants.

Soit dit en passant, à un très bref moment, Al a un mouvement d’épaule et de tête (le haussement d’une épaule tout en penchant la tête vers cette épaule, pour signifier « voilà, c’est comme ça ») identique à un moment très attachant dans Un après-midi de chien cinquante et un ans plus tôt, émotion !

La jeune actrice qui doit jouer les très difficiles scènes de possession diabolique, Abigail Cowen, Américaine que l’on imaginerait volontiers Irlandaise, avec de faux airs d’Elle Fanning, le fait parfaitement.

De façon très surprenante, on trouve, dans le rôle de l’une des nonnes, Meadow Williams, actrice aux compétences limitées qui avait coproduit et tenu le rôle principal d’American Traitor, un accident industriel notable dans la carrière d’Al en 2021, et lui qui est d’habitude si généreux dans ses avis avait jugé très négativement cette actrice dans un courrier qui avait fuité. A-t-il été contrarié de la retrouver sur un plateau quatre ans plus tard ?

Les rôles secondaires sont tenus correctement, mais le personnage principal (un prêtre d’environ quarante ans qui a donné son aval pour que cette expérience ait lieu) est joué par Dan Stevens, un acteur britannique peu passionnant et peu expressif dans ce rôle (sa carrière n’est pourtant pas médiocre, et il a en particulier tenu l’un des premiers rôles de la série Downton Abbey). Son habit de prêtre, ses cheveux bruns (pour ce rôle), ses épais sourcils et ses yeux d’un bleu clair intense lui donnent un air de ressemblance très net avec Montgomery Clift dans La Loi du silence, d’Hitchcock, mais la comparaison est bien entendu à son désavantage à la puissance cent. Dans deux rôles similaires de prêtres tourmentés par une épreuve, Dan Stevens fait de son mieux pour diversifier son interprétation des états d’âme de son personnage, mais il reste assez scolaire, alors que Clift était habité et illuminé de l’intérieur.

Sur le plan strictement religieux, c’est très bien fait et avec respect envers le christianisme. Dans le générique de fin, il est noté que le film a été tournée à Natchez, Mississipi, et l’église Saint-Mary est citée. Sur Google, je ne reconnais pas trop l’église du film, à l’extérieur et surtout à l’intérieur, mais il faudrait comparer ces photos et les scènes concernées.

On sort de la salle en ayant le cœur un peu chiffonné qu’Al, une fois de plus, ait assouvi son besoin irrépressible de jouer (et de toucher un cachet supplémentaire) en faisant un mauvais choix. Si choix il a réellement (on en vient à en douter après tant de films médiocres depuis vingt ans…). Ou a-t-il voulu accrocher à son tableau de chasse un genre cinématographique de plus ? C’est possible, car il n’avait jamais joué dans un film d’horreur en un demi-siècle.

J’ai aussi eu un gros pincement au cœur : c’est dans des films d’exorcisme (le mètre-étalon réalisé par Friedkin en 1973, puis sa suite en 1977 par John Boorman) que Kitty Winn, l’inoubliable interprète de Panique à Needle Park, avait vite sombré lors de sa courte carrière, tandis que, parallèlement, Al se lançait dans une trajectoire au contraire plus que brillante (il aurait mérité plusieurs Oscars, on le sait) et ne devait se rabattre sur un film d’exorcisme (celui-ci) que cinquante-deux ans après elle…

Mise en abyme : Al se fait plaisir (je suis certaine qu’il a demandé à ce que ça soit introduit dans le scénario !) en citant Shakespeare, Hamlet. Je crois que c’est : « There are more things in heaven and earth, Horatio, than are dreamt of in your philosophy. » (« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie. »)

Point-info « Al parle français » : Al dit « la raison d’être ».